Côte d’Ivoire / Plan de riposte contre le coronavirus : Ce qui se passe dans les centres de dépistage à Abidjan
Dans le cadre de la mise œuvre de son plan de riposte sanitaire contre la pandémie du coronavirus, le gouvernement a installé depuis le début du mois d'avril des centres de dépistage et de prélèvement volontaire. Objectif : identifier les malades, les prendre en charge le plus rapidement possible et les confiner, afin d’éviter une propagation du virus. Ces centres ne désemplissent certes pas, mais leur capacité d’accueil reste à désirer.
Sur les 45 centres de dépistage annoncé sur le territoire national, le district d’Abidjan, l’épicentre de la pandémie du coronavirus abrite six qui sont opérationnels. Il s’agit des centres des communes de Cocody-Saint Jean, du Plateau, de Marcory, de Yopougon BAE, de Koumassi Inch’Allah et de l’Institut des maladies infectieuses et tropicale (Chu de Treichville). Ces centres malgré l’opposition de certains riverains à leur installation, dans les communes de Koumassi et de Yopougon, sont de plus en plus fréquentés par les Abidjanais. La preuve, de moins de 100 personnes testées par jour, au début de cette pandémie en Côte d’Ivoire, l’on note désormais plus 500 tests des dépistages par jour. Ainsi, ces centres permettent aujourd’hui au gouvernement d'accroitre sa capacité de dépistage et assurer une prise en charges rapide et efficace des personnes testées positives et leurs contacts. « Le dépistage des cas suspects est l'un des axes de stratégies de la riposte sanitaire de la Côte d'Ivoire contre la pandémie (…) Cela peut permettre à la Côte d’Ivoire de maitriser la propagation du virus », explique un agent de santé en fonction dans un site de dépistage.
Prévenir une complication de la maladie
Au centre de Cocody Saint Jean ouvert depuis le 15 avril 2020, l’équipe sanitaire sur place ne chôme pas. Tant ce centre est fréquenté par les résidents de cette commune, qui à l’instar de Marcory, demeure l’épicentre de la pandémie dans le Grand Abidjan. Pour certains usagers de ces centres, présents parce que présentant des symptômes de la Covid-19 (toux, fièvre, difficulté respiratoire), si l'objectif recherché en venant volontairement faire ce test est de savoir son statut pour prévenir une complication de la maladie et éviter de contaminer sa famille et ses proches, il n'en demeure pas moins que le processus de ce test de dépistage, de l’enregistrement par l’équipe sanitaire à l’attente des résultats, est une rude épreuve. « Le processus est stressant et fatigant. D’abord il faut venir tôt le matin pour être parmi les premières personnes qu’on prend pour atteindre le quota du jour (Ndlr : chaque centre prend en moyenne 100 à 150 personnes par jour). Après plusieurs heures d’attente dans le rang sous le soleil, j’ai été reçu enfin par l’équipe sanitaire. J’avoue que de mon enregistrement à mon prélèvement en passant par la consultation, c’est une période stressant que j’ai vécu dans ce centre. En plus, on me dit que je vais devoir attendre trois jours pour savoir si je suis positif ou négatif », nous confie une jeune dame qui sortait du centre. D'autres par contre, bien que ne présentant aucun signe de la maladie vienne néanmoins pour connaître leur statut. « Je ne suis pas malade. Mais comme je n'habite pas loin du centre, je suis venu me faire dépister. Je ne le souhaite pas, mais si je suis déclaré positif, je serai vite pris en charge. Et le fait que je serai mis en quarantaine pendant mon traitement va sauver des vies et aider à réduire la propagation du virus. Et surtout, je mets aussi ma famille et mes proches à l’abri du coronavirus », confie Alexandre K. que nous avons rencontré dans le centre de dépistage de Koumassi. Qui, selon des témoignages d’agents commis à la sécurité de la logistique sur place, « reçoit depuis sa mise en fonction des personnes volontaires au test mais dans une ambiance un peu timide. « Cependant, précise-t-il, depuis cette semaine (Ndlr : lundi 11 mai au dimanche 17 mai), il y a tellement de monde que le service est débordé. Il y a même des gens qui ne sont pas pris en compte. Ils sont obligés de revenir le lendemain ».
Les centres débordés
Effectivement, depuis le lundi 11 mai, les centres de dépistage opérationnels dans la ville d’Abidjan ont connu une affluence inhabituelle depuis leur ouverture. Une influence qui en réalité est due à l’annonce de la reprise des cours à l’intérieur du pays par la ministre de l’Education nationale de l’enseignement technique et de la formation professionnelle, Kandia Camara, à partir du 17 mai 2020. Une décision suivie de celle de son collègue en charge de la Sécurité, qui exige désormais à tous ceux qui veulent sortir du Grand Abidjan leur test de dépistage avant toute demande de laissez-passer. Ainsi, les élèves, les enseignants et bien d’autres personnels éducatifs de l’intérieur du pays, séjournant à Abidjan ont pris d’assaut les centres de dépistage. En témoigne le cas d’un enseignant en poste à Téhini, à des kilomètres de la ville de Bouna, que nous avons rencontré au centre de dépistage du Plateau. « Je viens, explique-il, à l’appel de notre ministre nous invitant à reprendre les cours, pour faire mon test afin de regagner mon poste. Mais ce n’est pas facile. Je suis venu d’Abobo. L’affluence est telle que je ne suis pas sûre d’être reçu. Mais on espère quand même (…) Je suis venu parce que cela s’impose à moi. Sinon, honnêtement il ne m’est jamais passé à l’esprit de venir faire le test volontairement.» Dans la même veine, un autre enseignant également en attente sur le site de dépistage du Plateau dans des rangs entremêlés dans un désordre qui contraste avec les mesures barrières exigeant la distanciation sociale (un mètre) et le regroupement de moins de 50 personnes, raconte son calvaire. « Je suis enseignant à Bloloquin. J’habite Yopougon. Hier (Ndlr : lundi 11 mai) j’étais au centre de dépistage de Yopougon Bae. Je n’ai pas été reçu. Je me suis dit en venant ici au Plateau j’allais trouver un service un peu rapide. Mais c’est la même affluence. A cette allure, je me demande si je pourrai regagner mon poste le 17 mai », déplore-t-il. Carole Koné, en formation au Cafop de Yamoussoukro, dans la même situation craint quant à elle pour sa santé. « Je suis arrivée depuis 8 heures mais je ne suis même pas sûre d’être reçue aujourd’hui. Il y a au moins 300 personnes devant moi. Et puis, les mesures barrières ne sont même pas respectées. On dit d’observer un mètre de distance mais voyez vous-mêmes comment les gens sont entassés. Il n’y a même pas un service d’ordre pour faire respecter les mesures de protection prises par le gouvernement. J’avoue que cette affluence me fait peur. J’ai l’impression que c’est ici même que je vais prendre le virus de la Covid-19. Donc nous souhaitons vivement que l’Etat augmente les centres de dépistage dans les quartiers », déplore la future institutrice. «C’est vrai qu’il y a du monde, renchérit une autre dame avec un air très fatigué, assise à l’ombre d’un arbre. Mais je pense qu’on peut organiser les choses pour que les gens respectent les mesures barrières. Voyez vous-mêmes les rangs, nous sommes entassés comme des élèves du primaire et d’autres ne portent pas de masques. Il y a trop de risque de contamination ici. C’est pourquoi, bien qu’ayant ma place dans le rang, je suis obligé de me mettre à l’écart pour ma protection.»
Situation très délicate
Débordés et embarrassés face à cette affluence, les équipes sanitaires sont tout de même à pied d’œuvre pour satisfaire les candidats au test de dépistage. Selon le témoignage d’un commercial -venu de Bouaké pour une mission- rapportant les explications d’un agent de santé du centre de Koumassi, « la situation est très délicate pour les structures sanitaires engagées dans cette lutte contre la maladie à coronavirus ». « Je travaille à l’intérieur du pays pour une entreprise privée. Je suis à Abidjan dans le cadre d’une mission. La décision du ministre de la Sécurité exigeant désormais les tests de dépistage avant de sortir d’Abidjan, en raison de la réouverture des classes, est tombée à la veille de mon départ pour Bouaké. C’est donc la raison pour laquelle je suis depuis ce matin (Ndlr : mercredi 15 mai 2020) à ce centre de la commune de Koumassi, malgré le fait que j’ai déjà un laissez-passer qui m’a été délivré par la préfecture de Bouaké. Et c’est un parcourt de combattant. Je ne m’attendais pas à cette longue attente liée à l’affluence. Et puis, au regard de la situation je ne suis pas sûre de regagner mon poste avant la fin de cette semaine parce qu’après mon prélèvement je vais devoir attendre pendant trois jours pour avoir le résultat », a-t-il expliqué. Et de poursuivre : « Selon les explications d’un agent de santé sur place, cette situation est du au fait que l’Institut Pasteur ne peut que tester actuellement entre 500 et 600 échantillons par jour. Alors qu'avec l'affluence il faut pouvoir tester au moins 1500 prélèvements par jour. Donc les résultats des enchantions qu’ils prélèvent ne peuvent être disponibles qu'après trois jours, voire plus. Et c'est ce qui fait qu’il sont obligés de limiter les prélèvements à 150 par jour. Je pense qu’il faut revoir cette décision exigeant le dépistage obligatoire de tous ceux qui veulent sortir d’Abidjan (…) « Dans un souci d’efficacité, propose le commercial venu de Bouaké, il faut plutôt mettre l’accent sur le dépistage des personnes qui présentent des symptômes et des personnes à risque». En effet, de Cocody à Yopougon, en passant par Marcory, Treichville, Plateau et Koumassi, la pratique depuis lundi 11 mai, dans ces centres de dépisatage, a démontré que cette opération de dépistage obligatoire n’est pas possible.
Levée du dépistage systématique
La proposition de revoir la décision d’imposer le test de dépistage obligatoire avant toute sortie d’Abidjan ne tombera pas dans des oreilles de sourds. Car le 13 mai 2020, le ministre de la Sécurité revient sur sa décision. Un communiqué signé conjointement par les deux ministres en charge de la Sécurité et de l’Education nationale, met fin au dépistage obligatoire avant toute sortie d’Abidjan. Une décision qui « comme il fallait s’y attendre » va mettre fin dès le lendemain aux débordent dans les centres de dépistage, et partant, au calvaire des populations En effet, l’opération de dépistage obligatoire de « tous les travailleurs et élèves qui doivent reprendre le chemin de l’école » est un échec. En témoigne l’avis de Tobi Yala David, Coordonnateur général associé des Communicateurs bénévoles pour la lutte et la prévention contre la Covid-19 (Cblp-Covid 19). « Le gouvernement s’est rendu compte à la pratique que ces centres n’étaient pas vraiment préparés ni outillés pour recevoir le flux de personnes qui arrivaient pour se faire dépister. A l’origine, c’était des centres de dépistage volontaire. Or avec la mesure d’obligation de Covid(19, le dépistage est devenu obligatoire. Et la réalité du terrain a fait changer d’avis les autorités qui ont décidé de lever la mesure », confie le journaliste, non sans rassurer qu’il ne faut pas désespérer, puisque le gouvernement a promis que le suivi se fera au niveau des régions sanitaires. « Cependant, prévient-il, il sera difficile, vue les mouvements de personnes, que l’intérieur du pays demeure encore longtemps sans cas déclarés de Covid-19. Tant que la maladie n’est pas totalement éradiquée tout est possible. Seulement, ce que nous souhaitons, c’est le renforcement du plateau sanitaire de ces régions afin de pouvoir faire face à la situation sans qu’on ait besoin de transférer les éventuels malades à Abidjan.»
La stratégie de dépistage expose ses limites dès la première épreuve de flux de populations
Pendant trois (du 11 au 13 mai 2020), des centaines de population se ruent dans les centres de dépistage. Les équipes sanitaires sont débordées et les populations pour un petit test de dépistages sont à bout de souffle. Aussi, les risques de propagation du virus dans ces circonstances sont gros. Le plan de riposte sanitaire qui jusque-là « marche bien » selon le dernier message à la nation du Président de la République Alassane Ouattara, risque de prendre un coup. Face à cette épreuve, le gouvernement ne perd pas le temps. La réaction est immédiate : la mesure imposant le test obligatoire à toutes personnes qui veut sortir d’Abidjan est levée. Des équipes sanitaires au plan régional vont s’en occuper. En réalité, la stratégie de dépistage de malades de la Covid-19, l’un des axes du plan de riposte sanitaire du gouvernement à la pandémie du coronavirus, a malheureusement montré ses limites, dès la première épreuve de flux de populations. Des flux de populations, qui à en croire un agent de santé en fonction dans un centre de dépistage, est due au fait que « l’Institut Pasteur ne peut que tester actuellement entre 500 et 600 échantillons par jour. Alors qu'avec l'affluence, il faut pouvoir tester au moins 1500 prélèvements par jour. Donc les résultats des enchantions qu’ils prélèvent ne peuvent être disponibles qu'après trois jours, voire plus. Et c'est ce qui fait qu’il sont obligés de limiter les prélèvements à 150 personnes par jour et inviter les populations à revenir une prochaine fois ».Toute nos tentatives de vérifier officiellement cette information relative au nombre d’échantillons prélevés par jour dans les centres de dépistage et celui qui testés par l’Institut Pasteur, auprès des coordonnateurs des centres de dépistage du Plateau, de Yopougon, de Koumassi, de Marcory et de Cocody, sont restées vaines. Ces derniers nous ont orientés vers l’Institut national d’hygiène publique (Inph). Selon eux, c’est l’institution qui supervise tous les centres de dépistage. A la direction de l’Inph, où nous nous sommes rendus, l’on nous indique que « seule la direction de la communication du ministère de la Santé et de l’hygiène publique peut autoriser les coordonnateurs des centres de dépistage à nous répondre ». Nous nous sommes donc référés à cette direction du ministère de la Santé et de l’hygiène publique. Malheureusement, nous avons tenté pendant deux jours (les 12 et 13 mai) de joindre en vains les services de communication dudit ministère. Même nos messages pour expliquer l’objectif de nos appels manqués sont restés sans réponses. Cela dit, le tableau de la situation du coronavirus en Côte d’Ivoire est peu rassurant. Du récent débordement des centres de dépistage au à la levée des mesures restrictives par le gouvernement, en passant par l’incapacité de ces centres à accueillir un grand nombre de personnes à dépister, la limite de la capacité de l’Institut Pasteur à tester au-delà de 600 échantillons par jour, le fait que le pique annoncé dans la courbe de propagation du virus n’a toujours pas encore été atteint, et surtout, du fait que l’inconscience et l’indiscipline continuent d’avoir une avance sur le respect des mesures barrières par les populations, la maîtrise de cette pandémie reste toujours problématique. Bref, faut-il craindre le pire, au cas où la Côte d’Ivoire connaît une croissance de cas suspects présentant des symptômes ?
A. A.