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Avec le choix de l’Américain Bob Dylan, l’Académie suédoise a fait exploser tous les repères littéraires. Ce jeudi 13 octobre et pour la première fois dans l’histoire centenaire du prix Nobel de littérature, un chanteur a remporté la plus haute distinction de la littérature « pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d'expression poétique ».

Il y avait des hourras dans la majestueuse salle de la Bourse à Stockholm, ce jeudi 13 octobre. Avec Bob Dylan, pour une fois, tout le monde connaissait par cœur le lauréat du prestigieux prix Nobel de littérature.  

Bob Dylan à côté de Toni Morrison

En hissant les paroles des chansons de Bob Dylan au même niveau littéraire que les textes de Toni Morrison, la dernière Américaine qui a reçu le prix Nobel de littérature (1993), l’Académie suédoise a déclenché une petite révolution. « Bob Dylan écrit une poésie pour l’oreille, qui doit être déclamée. Si l'on pense aux Grecs anciens, à Sappho, Homère, ils écrivaient aussi de la poésie à dire, de préférence avec des instruments », a justifié Sara Danius de l’Académie suédoise la décision (« d’une grande cohésion ») des membres du comité.

Salman Rushdie, lui-même l’un des grands favoris du prix, a félicité sur Twitter « un super choix » en qualifiant Bob Dylan un « brillant héritier de la tradition des bardes ». D’autres ont exprimé leur désarroi face au choix osé de l’Académie. Mais, en critiquant une confusion des genres, on risque de rater la dimension historique de cette décision. Avec Bob Dylan, ce n’est pas la musicalité des mots, mais surtout les mots entourés et imprégnés de musique qui font leur entrée dans les critères du prix Nobel de littérature. Du coup, de nouveaux horizons s’ouvrent pour la littérature : après les paroles de musique, peut-être il y a bientôt des mots sur des photographies ou des peintures, des graffitis sur des murs ou des poèmes dansés nobélisables ? Pourquoi pas ?

L’icône d’une musique folk et engagée

Né sous le nom de Robert Allen Zimmermann, le 24 mai 1941 à Duluth, dans le Minnesota, descendant de grands-parents juifs originaires de l’Europe de l’Est fuyant les pogroms antisémites, il s’inscrit d’abord aux cours d’art à l’université de Minnesota avant de déménager en 1961 à New York pour rejoindre la scène expérimentale de Greenwich Village et de plonger ainsi sous le nom d’artiste Bob Dylan dans l’aventure de la Beat Generation.

Aujourd’hui, Dylan représente le chanteur américain par excellence. Il est devenu l’icône d’une musique folk, populaire et engagée des années 1960 et 1970, une époque marquée par la guerre de Vietnam, les mouvements civils et la contre-culture. Dylan a écrit, composé et interprété de véritables hymnes anti-guerre et des chansons restées jusqu’à aujourd’hui vivantes et virulentes dans la culture occidentale : Blowin’ in the Wind, Like a Rolling Stone, Mr. Tambourine Man, Forever Young, Knockin’ on Heaven’s Door.

Extrait de Blowin’ in the Wind (1962)

How many times must a man look up
Before he can see the sky?
Yes, 'n' how many ears must one man have
Before he can hear people cry?

(Traduction)
Combien de fois un homme doit-il regarder vers le haut
Avant de pouvoir voir du ciel?
Oui, et combien d'oreilles un seul homme doit avoir
Afin de pouvoir entendre crier les gens ?

Bob Dylan, de Victor Hugo à la Beat Generation

Avec son choix, pour le moins inattendu, le comité du prix Nobel souligne la dimension littéraire d’un poète-chanteur, admirateur d’Arthur Rimbaud et de Bertolt Brecht, mais aussi de Victor Hugo dont il a lu et admiré dans sa jeunesse Notre-Dame de Paris. Il a même rendu hommage à l’écrivain français sous forme d’un « bossu » qui hante sa chanson Desolation Row (1965). Sur le dos de l’album Another Side of Bob Dylan, le chanteur a même publié un poème dédié à la chanteuse Françoise Hardy, rencontrée lors de son séjour parisien en 1964. Et bien sûr, Bob Dylan a été fortement influencé par les écrivains de la fameuse Beat Generation, à l’image d’un Allen Ginsberg devenu superstar. Une génération qui vit actuellement une forte réévaluation dans le monde des arts. Il y a, par exemple, le film réalisé par le Brésilien Walter Salles, Sur la route, une mise en image du livre culte de Jack Kerouac. Il y a aussi Inside Llewyn Davis des cinéastes Joel et Ethan Coen montrant des « losers » qui ont jadis préparé le terrain pour des stars comme Bob Dylan sans pour autant en profiter. Sans oublier l’exposition montrant les fulgurances de la Beat Generation qui vient de se terminer au Centre-Pompidou de Paris.

Une relecture littéraire de ses chansons

Avec la nobélisation de Bob Dylan, l’Académie suédoise contribue à son tour à cette renaissance d’une époque toujours à l’œuvre dans les subconsciences des sociétés occidentales et invite à une relecture littéraire de ces chansons célèbres ou à venir, car à l’âge de 75 ans, le chanteur vient de sortir en mai dernier son 37e album studio, Fallen Angels, avec des standards américains jadis chantés par Frank Sinatra et il se promène avec son harmonica et sa guitare aux quatre coins de la planète pour une tournée baptisée Sans fin.