presidentielle-du-24-mars-2024-lecons-du-senegal-a-la-cote-divoire.jpg

Les carottes sont bien cuites. Bassirou Diomaye Faye est le 5è et nouveau président de la république du Sénégal. Même Amadou Ba, le candidat de la majorité présidentielle sortante, a reconnu sa défaite au premier tour.

Après la claque commerciale du Cameroun, qui cède son kilogramme de fève du cacao à 5.100FCFA aux paysans (contre 1.000FCFA en Côte d'Ivoire), le Sénégal de Léopold Sedar Senghor vient d'infliger une autre leçon à la Côte d'Ivoire de Félix Houphouët-Boigny.

A l'origine, ces deux pays ont pris des chemins différents: l'un en direction de la démocratie occidentale et l'autre, de la monarchie républicaine. Alors que son mandat présidentiel expirait en février 1983, Senghor a démissionné le 31 décembre 1980 en faveur de son Premier ministre Abdou Diouf, dauphin constitutionnel.

Quant à Houphouët-Boigny, il a rendu l'âme, le 7 décembre 1993, en étant au pouvoir. Car, comme il l'expliquait, un chef akan ne connaît pas son successeur de son vivant.

Cette considération a gagné toutes les mentalités dans le microcosme ivoirien. La volonté de toute puissance ainsi sous-entendue a contaminé la classe politique ivoirienne, des partis politiques à l'Exécutif, ce d'autant plus que le président de la république est même président de parti politique.

Le pays demeure ainsi un très mauvais exemple de la démocratie occidentale parce qu'elle s'est abonnée à l'école buissionnière, malgré toutes les misères.

De ce fait, le pays est pris en otage, avec le consentement de ses habitants, et, en dehors du leader charismatique bien-aimé, nul n'envisage ou ne peut imaginer, au risque d'être blâmé, un plan B, comme l'a fait Ousmane Sonko au Sénégal.

Acteur majeur du bras de fer avec le pouvoir de Macky Sall depuis 2021, pour le contraindre au renoncement à un troisième mandat, ce leader très populaire mais jeté en prison, a été disqualifié au Sénégal. Il a choisi, non de boycotter le scrutin, mais de lancer dans la bataille électorale son candidat de substitution: Bassirou Diomaye Faye, son bras droit, lui aussi incarcéré et non encore jugé.

Grâce à la loi d'amnistie, les deux leaders de l'ex-Pastef sont libérés, le 14 mars, deux semaines avant la présidentielle du 24 mars 2024. Avec leur affiche de campagne, "Diomaye mo Sonko" (Diomaye et Sonko), ils partent de la prison pour la présidence de la République.

De tels exemples manquent en Côte d'Ivoire. En 2020, Alassane Ouattara, après avoir renoncé à un troisième mandat, est revenu sur sa décision en raison du décès d'Amadou Gon Coulibaly, alors qu'il ne cesse d'affirmer qu'il a formé une demi-douzaine de personnes pour lui succéder. Et les affrontements meurtriers ne l'ont pas arrêté, comme au Sénégal.

Et en ce moment et partout, c'est le cirque des pétitions et manifestations pour faire entrer Ouattara dans "la royauté". Partisans et sympathisants sont en campagne pour lui demander encore et toujours de briguer un quatrième mandat, lui qui, selon Africa Intelligence du 8 mars 2024, "a conseillé à Macky Sall de quitter le pouvoir le 2 avril, date officielle de la fin de son mandat."

Laurent Gbagbo est dans ce même schéma de candidature à vie. Après toutes les campagnes politiques suicidaires de boycott de toutes les opérations électorales pour protester contre son arrestation et son transfèrement à La Haye, l'ancien chef de l'État s'est, lui aussi, porté candidat en 2020, alors qu'il était encore à Bruxelles, attendant un éventuel procès en appel à la CPI. Et il vient de se mettre encore en lice pour le scrutin de 2025.

Si l'on fait abstraction du PDCI-RDA, l'ancien parti unique, qui a une nouvelle équipe grâce au rappel à Dieu de son président Henri Konan Bédié, le renouvellement des générations, comme en France et au Sénégal, peut attendre quant au FPI, le candidat naturel et incontournable est connu: Pascal Affi N'guessan.

C'est dans un tel environnement où tout le monde se considère comme inamovible et où personne ne veut perdre ou quitter le pouvoir, que la Côte d'Ivoire évolue avec des règles viciées, des processus électoraux corrompus et un peuple moutonnier.

Ce dimanche 24 mars, les Ivoiriens ont donc pâli de jalousie devant le digne spectacle proposé par les Sénégalais. Ce d'autant que c'est la première fois que le président sortant, qui organise l'élection présidentielle, n'est pas candidat à sa succession. Macky Sall n'a pas faussé le jeu et le candidat qu'il a adoubé a été battu à plate couture.

Au cours du scrutin, aucun gbaka vert ni "microbe", aucune urne emportée ou brisée, aucun bureau de vote vandalisé, aucune agression d'un électeur et aucun mort. Les Sénégalais sont allés aux urnes la fleur au bout du fusil. Et le même soir de l'élection, sans attendre les délais ivoiriens de "il n'est pas encore minuit", les chaînes de télévision ont diffusé les résultats provisoires grâce à un monitoring efficace, qui interdit les fraudes, assure la transparence et accroît la confiance en des institutions crédibles et fortes: les listes électorales ne sont pas truquées, les découpages électoraux ne sont pas sur mesure, les organes de délibérations (Cena et Conseil constitutionnel) ne sont ni godillots ni béni-oui-oui, etc. Ce n'est pas le cas en Côte d'Ivoire où celui qui, selon l'humoriste Adama Dahico, gagne les élections peut perdre les résultats dans les consolidations et les tripatouillages.

Ainsi au Sénégal, presque tous les candidats et avant les résultats définitifs ont immédiatement salué la victoire de leur adversaire. Et c'est une vieille tradition. Les 20 mars 2000 et 25 mars 2012, les présidents sortants Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont reconnu leur défaite devant respectivement les opposants Abdoulaye Wade et Macky Sall, avec lesquels ils ont procédé aux passations des charges.

La Côte d'Ivoire est maudite. Elle n'a jamais vécu pareille et émouvante scène où l'entrant et le sortant s'accordent une chaleureuse et républicaine accolade. Nos élections, qui sont des moments d'affrontements, se terminent toujours dans la violence physique, les contestations et la division. Et tout indique que demain n'est pas la veille de scrutins apaisés.

Une contribution de F. M. Bally

 

Légende : Le nouveau président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, durant la campagne devant son mentor Ousmane Sonko.