Côte d’Ivoire : Braquage à Versus Bank
Le tonnerre a grondé dans le ciel des banques publiques ivoiriennes. Et la foudre s'est abattue pour accélérer le désengagement de l'État du secteur bancaire.
Après la liquidation, en octobre 2014, de la Banque pour le financement de l'agriculture (BFA), il ne reste plus dans l'escarcelle de l'État que la BHCI et la BNI.
La Banque populaire (BPCI, ex-CNCE) a été reprise en septembre 2023 par Atlantic Financial Group Côte d'Ivoire (AFG-CI), filiale de AFG Holding de l'homme d'affaires ivoirien Bernard Koné Dossongui. Et le 19 décembre 2024, c'est au tour de Versus Bank d'être privatisée.
Ce dernier acte est un tsunami qui fait d'énormes vagues dans le monde des affaires et de la banque. Après Zeinab Bancé pour le défi culinaire, la Côte d'Ivoire a, en effet, établi un record Guiness da la privatisation à la vitesse d'un éclair, sans processus de rachat.
Née juridiquement le 18 décembre 2024, la société Harvest Capital Holding, de l'homme d'affaires ivoirien Koné Daouda Soukpafo, a repris les 52,89% des parts de l'État dans le capital de Versus Bank le lendemain de sa création, soit le 19 décembre. Et c'est un gros scandale dans le scandale.
En fait, cette opération est un coup de force excessif, en violation de toutes les procédures en vigueur et des règles du jeu. Le 9 mai 2016, l'État met le feu aux poudres en lançant, presque en catimini, la privatisation de Versus Bank sur le site de l'hebdomadaire Jeune Afrique.
Cette opération fait flop. Elle sera suspendue, le 29 mars 2017, par la banque internationale Rotschild & Cie, agissant en qualité de conseil financier pour le compte de l'État dans cette privatisation. Le 19 juillet 2017, le Comité de privatisation ivoirien en fera autant.
Car, l'affaire sentait le roussi. Les réclamations de l'actionnaire Roger Jean-Claude N'Da Ametchi ont été jugées fondées et elles ont mis un coup d'arrêt au passage en force; l'État s'étant trouvé dans l'incapacité flagrante de prouver qu'il détenait 100% du capital social de Versus Bank.
Et pour cette raison, Christian Koffi Konan, nommé par décret n°2013-321 du 21 mai 2013 à la tête du Comité de privatisation, sera remplacé, le 8 septembre 2021, par Emmanuel Koffi Ahoutou. Il lui a été reproché de s'être désolidarisé de l'État.
Le 19 août 2021 et devant le Médiateur de la République, il a soutenu que les autorités n'étaient pas fondées dans leurs actions contre N'Da Ametchi au regard des dossiers et pièces à conviction en sa possession.
Agréée en qualité de banque par l'arrêté n°425/MEMEF/DGTCP du 1er décembre 2003, Versus Bank est née à l'initiative unique de Roger Jean-Claude N'Da Ametchi, cadre supérieur hors hiérarchie de banque. A sa création, elle était une société anonyme de droit ivoirien détenue par des privés: Aiglon Holding SA de droit suisse de Cheikné Kagnassi (65% des parts, actionnaire majoritaire), N'Da Ametchi (30%) et Abou-Bakar Ouattara, un expert-comptable (5%).
Mais très rapidement confrontée à la faillite de l'actionnaire majoritaire, Versus Bank sera placée sous administration provisoire (2 août 2006 - 31 décembre 2008) avant que, sous le pouvoir précédent, l'État ne prenne la décision, par décret n°2009-08 du 6 janvier 2009, de sa nationalisation pour la sauver.
Cependant, le rachat n'ayant pas été budgétisé, l'État s'est trouvé dans l'impossibilité de payer la participation des trois actionnaires dans le délai imparti. Et c'est le régime Ouattara qui héritera du dossier.
C'est un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il va racheter et payer intégralement les parts de deux actionnaires: l'Office cantonal des faillites de Fribourg, en Suisse (agissant en qualité de syndic de la faillite de Aiglon Holding SA) et Abou-Bakar Ouattara pour des montants respectifs de un milliard deux cents millions de nos francs (1.200.000.000 FCFA) et quatre-ving-douze millions trois-cent-soixante-quatorze mille deux-cent-quarante francs CFA (92.374.240 FCFA).
Le troisième actionnaire, Roger Jean-Claude N'Da Ametchi, ne figure pas sur la liste des bénéficiaires dans le paiement du prix de cession de ses 30% d'actions dans Versus Bank. Dans le collimateur du régime Ouattara, il reste la grosse victime d'un règlement de compte politique.
N'Da Ametchi a été un acteur financier durant la crise post-électorale. Après la fermeture sauvage, le 15 février 2011, des succursales des banques américaines et françaises en Côte d'Ivoire pour étouffer le pouvoir Gbagbo, l'État a réquisitionné les banques publiques (BNI, CNCE, BHCI, Versus Bank) et les filiales des banques hexagonales.
Et à l'instar de Marcellin Zahui à la SGBCI et Féh Kessé à la SIB, N'Da Ametchi, DG de Versus Bank, a été nommé administrateur général par intérim de la BICICI afin de payer les fonctionnaires et agents de l'État et permettre l'accès à leurs avoirs aux Ivoiriens et opérateurs économiques.
C'est son crime de lèse-majesté qui scellera son sort, d'autant plus que, contrairement à Féh Kessé, il ne rejoindra pas la république du Golf. Les sanctions vont tomber comme un couperet pour lui faire boire le calice jusqu'à la lie. Par décret n°2011-078 du 14 avril 2011, pris au Golf, il est rayé des administrateurs de Versus Bank et suspendu de ses fonctions de directeur général. Le 3 mai, ses avoirs sont gelés.
Ce n'est pas tout. Le régime en place manoeuvre pour l'exproprier de ses actions dans Versus Bank. Or, une clause résolutoire de plein droit lie N'Da Ametchi à l'État de Côte d'Ivoire. Le 7 janvier 2009, un protocole d'accord de rachat d'actions de la banque a été signé entre Charles Diby Koffi, ministre de l'Économie et des Finances pour l'État, et N'Da Ametchi, le cédant.
Le prix de la cession des 90.000 actions, représentant 30% du capital de Versus Bank, a été négocié à cinq-cent-cinquante-trois millions neuf-cent-cinquante mille francs CFA (553.950.000 FCFA). Ce montant devait être payé au plus tard le 31 mars 2009. Mais l'État a fait faux bond.
C'est ainsi qu'après deux mises en demeure infructueuses, les 28 mai et 5 juin 2014, Jean-Claude N'Da Ametchi a notifié, le 20 octobre 2014, qu'il retrouvait la pleine propriété de ses 90.000 actions et redevenait actionnaire de Versus Bank, en application de l'article 7 du protocole ainsi libellé: "En cas de défaut de paiement à la bonne date des sommes visées à l'article 3 ci-dessus, M. N'Da Ametchi Roger Jean-Claude retrouvera de plein droit le nombre d'actions cédées, correspondant au montant des sommes dues suite à deux interpellations par voie d'huissier."
De ce fait, Versus Bank redevenait régulièrement une société à participation financière publique avec deux actionnaires: l'État (70%) et N'Da Ametchi (30%).
Face à cette situation qui l'a pris à rebrousse-poil, le gouvernement ivoirien adopte un comportement binaire, en jouant sur deux tableaux, concomitamment. D'un côté, il ouvre la porte à un règlement à l'amiable. Le 24 juin 2015, il proposait, à l'issue du conseil des ministres, "le règlement à M. N'Da Ametchi du prix des actions cédées à l'État en 2009, s'il confirme que le paiement n'a pas été effectué."
Mais les négociations achoppent sur le montant à verser. Pour l'État, à travers un courrier d'Emmanuel Koffi Ahoutou, nouveau président du Comité de privatisation, en date du 22 mars 2022, c'est la somme convenue à la signature de l'accord en 2009 (553.950.000 FCFA) qui reste due.
N'Da Ametchi et son conseil, Me Agnès Ouangui, ne l'entendent pas de cette oreille. Étant acquis qu'une action est différente d'une obligation, ils estiment que ce prix ne tient pas compte de la valeur réelle des actions découlant de la valorisation constante des capitaux propres de Versus Bank.
Les actions cédées en 2009 à 6.155 FCFA l'action ont pris de la valeur. Versus Bank, qui se porte bien financièrement, a réalisé, de 2018 à 2022, des bénéfices allant de 1.668 milliards de nos francs à 2.174 milliards de FCFA. C'est au regard de cette robustesse que l'État a établi l'action de Versus Bank, en 2018, à 43.333 FCFA
Aussi, N'Da Ametchi et son avocate estiment-ils, comme la règle l'impose, que le prix de cession de ses 90.000 actions devait se négocier sur cette base valorisée et déterminée après audit.
Fin de non-recevoir de l'État. Car, au lieu de privilégier une heureuse issue à ce contentieux, vieux de quinze ans, qui empoisonne le climat des affaires, les autorités ivoiriennes restent sur la voie de l'épreuve de force. Et c'est le pourrissement.
Ainsi, de l'autre côté, l'État fait le forcing. En décembre 2015, il a saisi la juridiction des référés afin qu'elle fasse "injonction à M. N'Da Ametchi Roger Jean-Claude d'avoir à cesser toutes menaces et toutes entraves au projet de privatisation qu'il a régulièrement entrepris." Et ce, "sous astreinte de cent millions de francs CFA par jour de retard." Échec. Par l'ordonnance n°2655 du 30 mai 2016, le juge des référés s'est déclaré "incompétent à connaître de ce litige."
Qu'à cela ne tienne. L'État entre en rébellion contre la loi. Ignorant toujours N'Da Ametchi, il se met à agir comme l'actionnaire unique de Versus Bank. Et unilatéralement, il opte pour la privatisation de la société. Par décret n°2018-598 du 27 juin 2018, il émet 267.233 actions nouvelles en vue d'augmenter le capital de Versus Bank, pour le porter de trois milliards de nos francs à 14,580 milliards de francs CFA, au profit d'un nouvel actionnaire, la Caisse générale de retraite des agents de l'État (CGRAE, établissement public). Et ce, après l'échec des négociations avec la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS, société privée) au motif du règlement préalable du conflit avec N'Da Ametchi.
Après ce braquage opéré, le capital de Versus Bank est détenu par l'État (52,89%) et la CGRAE (47,11%).
Alors que cette opération, digne des méthodes mafieuses, n'a pas fini de défrayer la chronique, une bombe explose le 19 décembre 2024. Koné Daouda Soukpafo, roi du coton et du BTP (avec la société EKDS, ses initiales), rachète toutes les actions de l'État dans Versus Bank, à travers Harvest Capital Holding.
Et c'est l'émoi dans un secteur bancaire normé. Sous les yeux et dans le silence des autorités monétaires et de contrôle (BCEAO et Commission bancaire de l'UMOA), pourtant chargées "de contribuer à assurer une surveillance uniforme et plus efficace de l'activité bancaire", la norme est bafouée et le cafouillage prospère, sous le diktat des politiques.
Pourtant, au lancement de la privatisation de Versus Bank, le communiqué du Comité de privatisation balisait clairement le terrain. Cette opération se fera, lit-on, "selon le schéma suivant: cession de 67% du capital à un groupe bancaire ayant des références avérées dans le financement des PME/PMI et cession de 33% du capital à des investisseurs nationaux intéressés par le financement des PME/PMI."
Mais voilà qu'aucun schéma n'est respecté et tout part en vrille, pour prendre le contrepied du chef de l'État quand, dans son message du 31 décembre 2024, il déclare: "Nous poursuivrons nos efforts en matière d'amélioration de l'environnement des affaires afin d'offrir un climat d'investissement toujours plus compétitif et plus attractif."
A Versus Bank, le climat est à l'arbitraire. Depuis 2017, le processus de privatisation est au point mort. Néanmoins, le pouvoir s'est inscrit dans le je-m'en-foutisme. De plus et raison du gré à gré précipité, Harvest Capital Holding, sortie du néant, ne bénéficie d'aucune référence avérée. C'est le saut dans l'inconnu.
Et circonstance aggravante, l'État a sacrifié ses intérêts en bradant ses actions au bénéfice du repreneur. Alors que les 47,11% du capital ont coûté, en 2018, 11,580 milliards de nos francs à la CGRAE, Harvest Capital Holding s'empare des 52,89% des actions de l'État à seulement 8,5 milliards de francs CFA, en 2024, bien que les fonds propres de Versus Bank se soient confortés.
C'est un pont d'or accordé, sans compétition et donc sans mérite, à la société de Koné D. Soukpafo. À l'occasion de l'assemblée générale mixte du 27 juin 2024, les 52,89% des actions de l'État ont, en fait, valu onze milliards deux-cent-soixante-quatorze millions huit-cent-quatre-vingt-trois mille quatre-cent-trente-cinq francs (11.274.883.435 FCFA), sous la participation et la validation du commissaire aux comptes, le cabinet d'audit international KPMG.
De ce fait, s'il n'y a pas anguille sous roche, il y a baleine sous graviers dans ce hold up. Avec des dessous inattendus. Uniquement pour conduire à l'abattoir un actionnaire fondateur de Versus Bank et le dépouiller de tous ses droits, par tous les moyens.
Une contribution de F. M. Bally