Côte d’Ivoire / Développement local : Alain Blidia, maire de Ferké livre ses solutions
Après près de trois ans passés à la tête de la commune de Ferkessédougou, le maire et son équipe semblent avoir pris la pleine mesure de leur tâche. Dans cet entretien, Alain Hyacinthe Blidia dévoile ses grands chantiers mais surtout les défis majeurs qui l’attendent, les années restantes de son mandat.
Que voulez vous qu’on retienne de votre passage à la tête de la mairie de Ferké ?
Un élu local travaille principalement pour la population. Il a donc une gestion de proximité. C’est-à-dire être au contact de la population et réaliser leurs attentes et besoins. Dans ce cadre, nous nous sommes dotés d’un plan de développement communal réalisé par un cabinet. Avec ce plan, je ne travaille pas à vue. Nous suivons ce schéma directeur. En dehors de ce plan directeur, je vais vers les populations pour les écouter. Le marché des petits ruminants en est un exemple palpable. C’est après avoir échangé avec les commerçants qu’avec leur approbation, nous avons construit ce marché qui sera bientôt inauguré. Je me suis fixé un défi. Celui de marquer positivement mon passage à la tête de cette mairie.
Est-ce pour cela que vous avez construit une maison pour les retraités ?
Quand nous sommes arrivés au niveau de la commune, nous avons cherché d’abord à organiser toutes les couches de la population. Nous avons donc par exemple organisé les jeunes en comité de développement de quartier. Ce sont ceux-là qui font l’entretien de la commune. Vous voyez qu’il y a un cadre organique qui nous impose un effectif. En ce qui concerne Ferké qui a presque 70.000 habitants, le cadre organique m’impose 49 agents au maximum. Vous voyez que c’est dérisoire. Parlant du cas des retraités, je me suis dit qu’ils viennent de tous les secteurs. En les organisant, j’aurai donc une somme d’expertises et d’expériences à portée de main. J’ai donc décidé de leur dédier un bâtiment baptisé « la maison des retraités ». Ils y auront leur bureau. S’il y a des dossiers à traiter au niveau de la commune et que parmi mes 49 agents, je n’ai les compétences, je me référerai à l’expertise des retraités. Ils auront donc à leur disposition deux grandes salles. Une pour faire le sport et l’autre pour les réunions.
Quels sont les défis majeurs qui se présentent à vous ?
D’abord, il faut la cohésion des fils et filles de Ferké. C’est une bataille de longue haleine. Parce que pour être sincère, je ne peux pas dire qu’il y a une véritable cohésion des filles et fils de Ferké. Mais on s’attèle chaque fois à rectifier ce tir. Il faut aussi que nos parents aient le minimum au niveau de l’éducation, la santé, l’accès aux infrastructures de base. Ce sont des défis qui me tiennent à cœur. Je suis de fonction, secrétaire général de mairie. Dans cette position, je vois déjà que les besoins des populations sont énormes. Par contre, les moyens dont disposent les collectivités sont insuffisants. Il faut qu’on sente qu’entre mes prédécesseurs et moi, il y a véritablement une grande différence. Pour les autres cela peut se comprendre. Mais moi, je suis du domaine. Et il sera inadmissible que je ne marque pas mon passage.
Qu’est-ce qui est fait concrètement pour les femmes de Ferké ?
Quand nous sommes arrivés, les femmes étaient beaucoup plus organisées par parti politique. Le constat que je faisais, c’est quand une autorité politique arrivait et qu’il faisait un don, les femmes proches de son parti s’appropriaient le don au détriment des autres femmes. J’ai trouvé cela inadmissible. J’ai demandé que les femmes s’organisent. Il y avait une ancienne organisation des femmes mais qui n’avait pas de tête. Celle qui dirigeait cette organisation est décédée et elle est restée en veilleuse. Je suis arrivé, je les ai mieux organisées à partir des textes, statuts et règlements intérieurs. A partir de ce moment, la mairie met une subvention à leur disposition chaque année. Les femmes viennent individuellement ou par groupement prendre des prêts auprès de l’Union des femmes de Ferké (UFF). Chaque année, l’union me fait un rapport écrit des activités. Il y a un magasin de stockage des produits vivriers qui nous a coûté près de 40 millions de francs CFA. Mais il y a des femmes des villages de la commune qui ne se sentent pas concernées par la subvention que nous mettons à la disposition de l’UFF. Elles pensent que c’est uniquement pour les femmes de la ville. Quand nous avons constaté cela, cette année nous avons mis au budget une subvention de 5 millions pour ces femmes. Cette subvention va servir à acheter des intrants, de la semence, du matériel agricole qu’on va mettre à la disposition de ces femmes. En ce qui concerne les jeunes, cette année, nous avons déjà mis en place un fonds de soutien, un fonds de garantie à l’auto-emploi. Mais en général, je ne suis pas pour cette spécificité. Partout on dit fonds de garantie à la jeunesse alors qu’on a des gens qui vieillissent, qui n’ont jamais travaillé et qui ont besoin d’être soutenus aussi. Donc ce fonds est ouvert à tout le monde, peut-être beaucoup plus aux jeunes mais il est ouvert aux autres qui sentent le besoin de mener une activité, qui voudraient que la mairie garantisse leurs activités. On a commencé avec une somme de 10 millions mais l’objectif est de plafonner ce montant à 50 millions.
Qu’est-ce qui a été fait au niveau des écoles ?
Des efforts ont été faits au niveau de l’école. Par mes relations personnelles, j’ai pu obtenir à peu près 500 tables-bancs parce qu’on avait un déficit de plus de 1500 tables-bancs. Et dans le budget de cette année, nous avons prévu une ligne pour combler le déficit. L’équipe précédente avait commencé à construire un bâtiment de trois classes que nous avons achevé quand nous sommes arrivés. A côté de cela, nous avons construit un bâtiment de trois classes à l’EPP Résidentiel. Il y a trois bâtiments de trois classes que nous allons construire cette année dans trois quartiers notamment à Saint Paul, Kafalovogo et bramakoté. Ce sont des effectifs pléthoriques et ça fait pitié quand on rentre dans les classes. On s’est dit qu’il faut commencer par renforcer les écoles qui existent en les désengorgeant. A côté des constructions, nous avons institué la fête des écoles où nous récompensons les meilleurs élèves.
Le phénomène des coupeurs de route fait rage dans votre zone. Est-ce que le conseil municipal pense un peu à la sécurité de ses administrés ?
Vous savez, le phénomène des coupeurs de route, ce n’est vraiment pas dans mon périmètre communal. Je suis dans un rayon de pratiquement 4 km, ils opèrent le plus souvent en dehors mais ce n’est pas parce que ça ne se fait pas dans mon périmètre communal que je ne serais pas sensible à ça. Nous avons mis en place des structures qui travaillent ensemble avec la police. Les gens ont été sélectionnés dans les quartiers et qui travaillent régulièrement avec la police. Ceux-là sont chargés de regarder dans leurs différents quartiers, d’écouter d’abord la population qui peut se plaindre de beaucoup de choses, afin de relayer cela auprès des forces de l’ordre. Nous faisons aussi beaucoup de sensibilisation à travers la radio communale, nous parlons des problèmes de coupeurs de route dans nos réunions, on aborde les problèmes de sécurité. Nous essayons de demander à la population de collaborer franchement avec les forces de l’ordre auxquelles nous apportons un appui. Nous avons équipé le commissariat en matériels de bureau et chaque mois nous donnons une dotation en carburant.
A vous écouter, Ferké a trop de problèmes et pourtant votre commune est dans la région d’origine du chef de l’Etat. Est-ce à dire qu’il n’est pas attentif à tout ce qui se passe chez lui ?
C’est une question qui n’est pas facile à répondre. C’est vrai que le chef de l’Etat vient de cette région (Ndlr : Tchologo qui comprend les départements de Ferké, Kong et Ouangolo), on s’en réjouit. Mais il n’appartient pas seulement à la région. C’est ça aussi la difficulté et c’est ce que la population ne comprend pas. Parce que le chef de l’Etat est de la région, les gens pensent qu’on doit tout avoir, ce n’est pas vrai. On est logé à la même enseigne que toutes les autres collectivités. Nous devons nous battre, nous devons apprendre à gérer ce que nous avons dans la transparence. Si le chef de l’Etat voit que nous avons fait des efforts et qu’il veut nous apporter un appui, il le fera. Lors de mon investiture, il a promis m’aider. Il y a beaucoup de problèmes, c’est vrai mais ils sont dans un ordre de priorité. Le vrai problème ici, c’est le marché. Il ne répond à aucune norme, il date d’avant ma naissance. Les jours de marché, il y a tout le temps des accidents mortels. Nous avons fait une étude évaluée, chiffrée qu’on a déposé à la Présidence de la République et on attend que le chef de l’Etat nous donne une suite favorable. Le deuxième problème, c’est le tribunal. Je crois savoir que c’est déjà pris en compte. Chaque chef de région aura droit à un tribunal. Que la population patiente, cela va venir. Nous attendons beaucoup du chef de l’Etat. Il faut être patient, chaque chose a son temps. Le moment venu, le chef de l’Etat sera sensible à nos préoccupations.
Après 3 ans de mandat, le maire que vous êtes est-il satisfait de son travail, avez-vous un retour positif de la part de vos administrés ?
J’ai un retour par rapport à mes administrés. De manière générale, ils sont satisfaits. Ils disent que depuis que la commune existe, c’est maintenant qu’ils sentent qu’ils ont un maire. Mais en ce qui me concerne, je suis un homme insatisfait. Ce n’est pas parce que la population est satisfaite de ce que nous avons déjà réalisé jusque-là que je vais m’en enorgueillir. J’ai toujours dit que le développement ne s’arrête jamais. Il faut toujours réfléchir parce que les besoins de la population sont énormes. Pendant qu’une bonne majorité vous dit que « nous sommes satisfaits du maire », il y a une bonne partie qui dit que « nous, on n’est pas satisfait ». Il faut aller vers toutes ces personnes pour les écouter, il y a toujours quelque chose à faire. Même les pays développés continuent de travailler. Tant qu’il y aura des besoins, je ne serai jamais satisfait.
Est-ce à dire que vous allez solliciter un second mandat ?
Si la population me demande de solliciter un second mandat, je le ferai avec plaisir. Mais je ne suis pas ces maires qui s’éternisent à la tête des communes. Peut-être que ce sera le second et le dernier mandat. Je ne veux vraiment pas aller au-delà.
Qu’est-ce que la mairie fait pour lutter contre les nombreux accidents provoqués par les engins à 2 roues ?
Nous prenons vraiment cette question au sérieux. Chaque jour, il y a des communiqués à la radio locale qui passent au nom du maire pour amener ceux qui sont véhiculés à rouler doucement, à respecter le code de la route. C’est valable pour les motocyclistes et même les piétons. Il faut savoir marcher. Il faut porter le casque. On ne cessera jamais de le répéter pendant les réunions. C’est tous les jours qu’il y a des accidents avec mort d’hommes. Maintenant on est obligé de prendre des mesures. J’ai demandé à la police de contrôler les permis. C’est l’une des raisons même pour lesquelles nous voulons déplacer le marché. Pour la nouvelle route, j’ai demandé qu’on nous mette des dos d’âne adaptés. L’une des mesures que nous allons prendre, les jours à venir, c’est le port obligatoire des casques. A Korhogo, quand tu n’as pas de casque, on t’arrête. Je préfère d’abord sensibiliser avant de passer à la répression.
Ferké est une porte d’entrée en Côte d’Ivoire en venant du Mali et du Burkina Faso. N’avez-vous pas peur de la menace djihadiste ?
C’est juste ce que vous dites. Il y a déjà un véhicule qui a été intercepté ici par les forces de l’ordre et qui contenait des explosifs. C’est une réalité, il ne faut pas se voiler la face. Il faut voir les choses et prendre les dispositions. On doit être vigilant. En tant qu’élu local, je suis très sensible à tout ça. Je n’hésiterais pas à faire tout ce que je peux faire pour que la population soit sécurisée. Le phénomène djihadiste est réel, il n’est pas seulement propre aux occidentaux, il existe partout. C’est pour cela qu’on demande à la population de collaborer franchement avec les forces de l’ordre.
Interview réalisée par A.K.