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J'ai été alerté par mes anciens paroissiens de la chapelle de l'abattoir (j'y ai servi pendant au moins six ans comme stagiaire et vicaire par la suite) aux premières heures de la destruction de leur église et de leurs habitations. Ils demandaient comment toucher les autorités ecclésiastiques pour s'interposer et leur obtenir un petit sursis. Le temps de réfléchir à une mince velléité d'intervention que le séminariste stagiaire qui est mon fils spirituel me balance les images de l'apocalypse. J'y vois les images insoutenables de la vierge Marie Notre Dame de Lourdes au milieu des gravats comme coulant des larmes de sang face à la folie destructrice des engins.

Une de mes filles spirituelles qui avait rendez-vous ce même jour avec moi, me dit qu'elle ne peut pas venir et qu'on s'apprête à détruire l'entreprise où elle travaille mais eux ont pu avoir la main heureuse en négociant avec 500000 f Cfa, un différé de leur destruction. Mon grand frère et ami, le curé du coin, le père Angbeni, originaire du village où je suis curé qui ne savait rien de tout ce qui se tramait, venait juste de se déplacer pour une session à Yamoussoukro. Il n'était pas là pour s'interposer avec quelques billets de banque pour obtenir lui aussi un maigre sursis, le temps de bien vider les lieux et surtout de procéder aux rites officiels de désaffection de l'église comme lieu de culte.

Dans un Etat normal même laïc, c'est ce qui est juste et qui se fait. Que nenni! Nous sommes à l'époque de Nabuccodonosor, de Balthazar, de Jezabel, le règne des justiciers, des zorros, le règne de personnes sans foi ni loi (en le décrivant ainsi, assurément, je ne dis rien !).

J'ai demandé au Père Angbeni, traumatisé, choqué et hébété, d'essayer de se reconstruire moralement et spirituellement sur sa paroisse d'origine à Moossou en attendant les décisions du conseil de l'évêque qui, pris aussi de vitesse, n'a eu que le temps d'adresser un mot de compassion à ses agents pastoraux et à ses diocésains. Quand j'ai écouté le curé désormais en congés forcés, je me demande ce que nous avons fait au bon Dieu pour avoir à subir de tels épisodes écœurants et éprouvants et en plus avec un silence assourdissant de la communauté dite nationale ou internationale. Comment peut-on faire souffrir ses propres concitoyens ? Comment peut-on, un beau matin sans prendre des précautions humanitaires élémentaires, jeter en pâture en pleine période pluvieuse femmes enceintes ou nourrices, enfants et des pères de familles déboussolées et dans le désarroi. Ailleurs dans les autres déguerpissements, je n'avais pas tous les éléments d'appréciation mais pour ce qui vient de se passer sous mes yeux avec "la profanation" (c'est le cas de le dire) de l'église de l'abattoir et du déguerpissement brutal de mes anciens paroissiens, nous avons atteint un certain stade du cynisme et de l'arrogance. On parle, on parle mais on s'en fout, il n'y a vraiment rien en face.

Franchement, qu'est-ce que ça coûtait et cela je me pose la question constamment de procéder avec élégance en impliquant les autorités coutumières, administratives et religieuses à un tel déguerpissement sûrement justifié mais qui manque d'élégance et de charité.

Ce qui me fait mal et qui me chagrine, c'est l'abandon total et la non-assistance des élus de la nation face à ceux que nous connaissons et qui martyrisent nos propres frères et sœurs. A quand la fin de notre supplice ? Sur quoi ou sur qui peut-on compter (je parle de ceux qui commanditent ce genre d'opération) pour se comporter de la sorte, au mépris de toute règle élémentaire d'humanisme ? Qui sont franchement ceux qui donnent de tels ordres cruels ? Je me pose des questions ?

En attendant si les Ivoiriens pouvaient se libérer de la peur pour boycotter ces journées d'hommages à nos tortionnaires et bourreaux, au moins, on respecterait la souffrance des martyrs.

Si les Ivoiriens pouvaient se mobiliser avec une opposition réelle et une société civile crédible pour demander la réforme de la commission électorale telle qu'elle se présente, je pense que très vite dans un avenir très proche, on pourrait mettre fin et en déroute toutes les structures du mal et la spirale de la cruauté qui ne cesse que de se déployer en toute liberté sous nos yeux, impuissants, hagards et bouffis de pleurs en sang. Ceci est un autre grand débat. Mais prions fortement.

 

Père Basile Diané, journaliste écrivain et défenseur des droits de l'Homme