Mort de George Floyd / Cheikh Tidiane Gadio appelle tous les pays africains à condamner les violences infligées aux Noirs devant l’ONU
Les manifestations contre le racisme et les violences policières se poursuivent aux Etats-Unis, depuis la mort de George Floyd, un Afro-Américain étouffé sous le genou d'un policier blanc. Les images, insoutenables, ont fait le tour du monde. Des célébrités, des chanteurs, des sportifs ont réagi… En Afrique aussi, certaines voix se font entendre. Mais pas assez, estime Cheikh Tidiane Gadio. L’ancien ministre sénégalais des Affaires étrangères qui dirige l'Institut Panafricain de Stratégies a publié un communiqué.
Vous êtes un homme indigné aujourd’hui ?
Oui, mais complètement. Voyez-vous, on nous montre des exécutions filmées et diffusées à travers le monde, où vous avez ce genou meurtrier -comme je l’appelle-, posé avec beaucoup de sérénité, de calme et les mains dans les poches, par un officier qui semble même dire à la victime « Relax… Calmez-vous… » Et il continue d’exercer la pression… Nous avons souffert avec lui. Beaucoup d’entre nous ont eu les larmes aux yeux en le regardant.
Vous, qui connaissez bien les États-Unis, quels sont d’après vous, les origines de ces violences racistes ?
Pour moi, c’est une violence systémique qui est née de l’esclavage. L’esclavage est une forme de violence absolue, de mépris de l’être humain, de marchandisation de l’être humain. C’est pour cela qu’effectivement, la démocratie américaine telle qu’elle a été construite au départ, n’avait pas prévu d’inclure les Noirs américains et donc la police, les institutions, la justice… Plus d’un million de jeunes Noirs sont en prison aujourd’hui. Globalement, la police pense que c’est ok, de poser un genou meurtrier sur un Noir et de le détruire comme ça, de le tuer… Parce que c’est comme s’il avait affaire à un animal, pas à un être humain.
Alors aujourd’hui, vous dites « Ça suffit ! Amérique, ça suffit ! »
Mais absolument ! Ça suffit ! Ces Noirs-là ont bâti l’Amérique avec leur sueur, avec leur sang. Il faut que ça cesse. Il faut que l’Amérique comprenne globalement… Et quand je dis l’Amérique, bien entendu, il y a l’Amérique progressiste, l’Amérique des défenseurs des droits de l’homme, des démocrates blancs, noirs, couleur chocolat… Tout ce que l’on veut… Cette Amérique-là, il faut la soutenir de l’extérieur dans son combat, pour que l’Amérique soit une société équitable, juste, où tout le monde se sent tout à fait en sécurité partout. C’est cela qui manque à l’Amérique et le leadership qu’ils ont actuellement ne contribue pas à cette direction.
Ça suffit, les violences… Ça suffit, aussi, le silence ou l’indifférence des dirigeants africains…
Mais absolument. Depuis 1964, Malcolm X leur avait lancé un avertissement : « Vous êtes au pouvoir aujourd’hui, vous avez l’indépendance. Vous êtes les bergers -disait-il- de tous les peuples noirs, y compris les peuples noirs dans les Caraïbes et aux États-Unis. Vous avez une responsabilité morale par rapport à nous. Ne nous laissez pas avec -ce qu’il appelait- les loups racistes. » Donc nous, ce qu’on aimerait voir, c’est que tous les pays africains à l’unanimité se présentent aux Nations unies, à l’Assemblée générale, pour soumettre une motion de condamnation ferme des violences infligées aux Noirs et aux Africains-Américains, aux États-Unis et partout dans le monde. Et cela nous semble extrêmement urgent et important.
Comme cela s’est passé au temps de l’apartheid…
Exactement. Comme du temps où on luttait contre l’apartheid. Parce que la souffrance des Noirs, les mauvais traitements qui leur sont infligés au Brésil, en Chine et un peu partout dans le monde, cela continue. Il faut un coup de frein, un coup d’arrêt.
Donc selon vous, sur des questions d’humanité, il y aurait comme un devoir d’ingérence ?
Absolument, un devoir d’ingérence. Parce que, s’il n’y a que les Africains et les Noirs qui condamnent les violences aux États-Unis, c’est comme s’ils défendaient leurs congénères, alors que tous les peuples épris de paix, de liberté, de cohésion et de concorde entre les peuples et les races, devraient réagir. C’est la voix de ce que l’on a de mieux en tant qu’être humain qui va se manifester.
Rfi