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Une contribution de Ferro Bally

 

Le ton est resté martial et a sacrifié à la rhétorique guerrière. "Aucune option n'est exclue, y compris l'utilisation de la force militaire en dernier recours," a prévenu Bola Ahmed Tinubu, chef de l'État du Nigeria et président en exercice de la CEDEAO.

Après la sortie musclée du dimanche 30 juillet 2023, l'organisation sous-régionale ne pouvait pas faire mieux, le jeudi 10 août, toujours à Abuja, la capitale du Nigeria.

Elle a donc maintenu le cap, gardant la ligne dure dans la gestion du retour au pouvoir du président nigérien Mohamed Bazoum, renversé par un putsch le 26 juillet.

Mais elle joue à sauver les apparences. Le géant nigérian, qui devrait assurer le commandement de la force militaire, est forfait. Le Sénat a refusé l'option militaire.

Et Tinubu, dont l'élection contestée n'a pas encore été validée par le tribunal chargé de cette affaire, ne peut prendre le risque de se mettre à dos l'opinion publique, en engageant les troupes nigérianes. Pis, il faut le feu vert des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, dont la Russie.

L'option militaire apparaît clairement comme une vue de l'esprit. Et la CEDEAO, dont la crédibilité est fortement entachée, est victime de ses mauvais choix, de ses hésitations et de ses faiblesses manifestes sous des pressions extérieures.

De ce fait, après perdu des plumes au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, la crise nigérienne constitue le test pour sa survie au point que, maladroitement, elle veut s'arroger les buts de l'ONU.

En effet, la CEDEAO réclame, à cor et à cri, la restauration de l'État de droit là où elle-même, comme un cordonnier mal chaussé, se fout du droit et de la démocratie.

Se séparant de la manière douce des pères fondateurs, elle viole son propre Traité et les Statuts de la BCEAO, en adoptant une batterie de mesures "illégales, injustes, inhumaines et illégitimes". Même la fermeture des frontières s'oppose à la libre circulation des biens et des personnes dans l'espace CEDEAO.

De plus, en dehors du Nigeria et du Sénégal qui ont mis à débat la question de l'option militaire, les autres pays veulent engager leur armée sans consultation de la représentation nationale.

« La Côte d'Ivoire fournira un bataillon et a pris toutes les dispositions financières », a déclaré Alassane Ouattara, ignorant royalement l'article 104 de la Constitution, qui dispose: « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ».

Pour le retour au pouvoir de Bazoum, la CEDEAO démontre à suffisance qu'elle est un syndicat de chefs d'État, davantage préoccupé par la défense des intérêts de ses membres uniquement.

Ainsi, le Protocole additionnel sur la bonne gouvernance et la démocratie est malmené. Il a bien balisé le terrain, interdisant l'accession et... le maintien au pouvoir par des moyens anti-démocratiques.

Mais, les chefs d'État de la CEDEAO ont choisi de se protéger, ne voyant uniquement que les coups d'État militaires à condamner sévèrement. Ils ferment donc les yeux sur les tripatouillages des Constitutions pour un troisième mandat, comme en Côte d'Ivoire en 2020, et les obstacles juridiques et politiques pour neutraliser un opposant, comme au Sénégal en 2023.

Et chaque jour ruine l'image d'une organisation claudicante, hors-sol et en manque de souffle. En plus, elle se présente comme une organisation aux mains des Occidentaux (voir photo de la réunion de la CEDEAO).

Leurs représentants aux réunions de crise de la CEDEAO, comme le 10 août, sont plus nombreux que les participants statutaires. Ce sont ces puissances qui financent l'organisation. Ce sont elles qui tirent toutes les ficelles, étant le ventriloque qui agite la marionnette.

C'est pourquoi les sorties de la CEDEAO sont toujours à l'aune des réactions occidentales, qui demeurent le baromètre. C'est une caisse de résonance.

Il a suffi, par conséquent, que les USA, des pays européens comme l'Allemagne et l'Italie temporisent, parce qu'ils ont compris que la Russie et Wagner ne sont pas encore aux portes du Niger, pour que, dans ses contradictions, la CEDEAO soutienne que "la diplomatie reste privilégiée".

Et c'est ainsi qu'alors que la France avait maille à partir avec les autorités militaires maliennes, Umaru Sissoco Embalò, chef de l'État de Guinée-Bissau et alors président en exercice de l'organisation, a voulu contenter Emmanuel Macron, au cours d'une conférence de presse. Le 22 juillet 2022, il évoquait, seul, la création d'une force anti-putsch. Et Tinubu, chef de guerre, s'est engouffré dans cette brèche, à ses risques et périls.

Ces raisons accentuent la rupture entre la CEDEAO des chefs d'Etat et la CEDEAO des peuples. Le divorce est même prononcé.

Née en 1975 sous le parti unique et à l'époque de la guerre froide, l'organisation n'a pas fait sa mue, restant otage des maîtres du monde.

Elle reste, de ce fait, sourde alors aux revendications des jeunes qui fustigent, à tue-tête, des indépendances africaines sans décolonisation des pays, toujours vaches à lait selon des accords léonins et des contrats de dupes.

Et les putschs que la rue applaudit bruyamment ne sont que l'expression d'une exaspération et d'un ras-le-bol, qui se généralisent face à une CEDEAO des chefs d'État de plus en plus impopulaire.

Les drapeaux français qui sont brûlés et ceux russes, brandis, loin de la substitution d'un maître par un autre, traduisent, en réalité, le rejet désormais systématique de l'ingérence, le paternalisme et la condescendance des Français dans les affaires internes des États.

F. M. Bally

 

NB : Les nombreux représentants des pays occidentaux au sommet de la CEDEAO du 10 août 2023.