Média / Nicolas Pompigne-Mognard : « Les médias africains semblent en danger et engagés dans un combat assez déloyal »
Les médias africains rencontrent d’énormes difficultés au point que certains acteurs n’hésitent pas à parler de « presse sinistrée ». Pour Nicolas Pompigne-Mognard, fondateur et président de Apo Group, si « la presse est impactée à l’échelle mondiale », le paysage médiatique africain connait des problèmes spécifiques. De passage à Abidjan, du 15 au 20 octobre 2021, l’homme d’affaires jette un regard sur l’avenir du secteur.
Créée en 2008, l’Organisation de la presse africaine (Apo) est le premier cabinet de conseil en communication et de diffusion de communiqués de presse panafricains dédiés à la promotion d'une image positive de l'Afrique et à la croissance du continent.
Quelle est la raison de votre présence en Côte d’Ivoire ?
Depuis 2008, Apo Group est l’un des fournisseurs de la Banque africaine de développement (Bad). Un nouveau chef de la communication vient d’être nommé. Je suis là pour le rencontrer et discuter du futur de notre collaboration.
De 2008, date de la création de votre groupe jusqu’à aujourd’hui, comment se comporte Apo ?
Au départ Apo group a été constitué pour un service de diffusion de communiqué de presse. A partir de 2012, certains de nos clients ont commencé à nous demander si on pouvait organiser des interviews, des conférences de presse, organiser des voyages de presse, publier des éditoriaux etc. Donc jusqu’en 2018, nous avons fait cela uniquement pour nos clients privilégiés. A partir de 2018, nous avons décidé de nous établir comme une agence de relations publiques à part entière. Dans ces deux divisions, nous sommes panafricains. Nous fournissons nos services à travers l’ensemble du continent.
Quelles sont vos relations avec la presse africaine en général et ivoirienne en particulier ?
Nous travaillons avec l’ensemble du continent mais nous avons des relations privilégiées avec très peu de médias. Nous fournissons du contenu à tout le monde. Il n’y a pas un média qui peut dire en Côte d’Ivoire qu’il a une relation privilégiée avec nous. Nous avons un fichier presse avec 450000 contacts à travers le continent.
Avez-vous un volet consacré à la formation des médias africains ?
Pas spécifiquement. Mais je donne des conférences dans les universités et écoles de journalisme et des relations publiques à travers l’Afrique. En 2019, j’ai donné des conférences dans des universités au Zimbabwe, en Ouganda, en Ethiopie, en Zambie, au CESTI (Centre d’études des sciences et techniques de l’information) de Dakar au Sénégal sur deux thèmes. Le premier, « les médias internationaux investissent sur le continent africain : est-ce une bonne nouvelle pour le continent ? » et le deuxième thème qui est « comment un journaliste peut devenir un entrepreneur ? ». Dans le cadre du prix de la Femme journaliste, en dehors du prix en cash, c’est aussi un an de formation à distance à l’école de journalisme de Londres (London school of journlism). Il y a un autre projet très important en lien avec le Covid-19 à travers lequel Apo va organiser la possibilité pour des étudiants en journalisme en Ouganda de faire des stages. C’est un projet pilote. Jusque avant que le Covid n’apparaisse, nous étions à deux mois du lancement de cette initiative qui aurait permis à 50 étudiants de bénéficier d’un stage de 6 mois. Nous invitons régulièrement des journalistes à assister à des événements internationaux, nous organisons des medias Awards.
La presse africaine est aujourd’hui sinistrée. Y a-t-il un modèle économique que vous pourriez conseiller aux acteurs ?
Ce n’est pas seulement qu’en Afrique. La presse est impactée à l’échelle mondiale mais la presse africaine a l’ensemble des problèmes qu’a la presse mondiale plus d’autres problèmes spécifiques. On peut citer la monétisation, la digitalisation, la reconnaissance des talents. Il y a de grosses compagnies de médias qui ont annoncé qu’elles licencieraient beaucoup de gens. Ce n’est pas propre à l’Afrique. Mais en Afrique, la situation est beaucoup plus compliquée notamment la concurrence que font les médias dits internationaux. Aujourd’hui, le Nigéria représente 25% de l’audience globale de la BBC. Il y aussi les Chinois. Beaucoup de médias internationaux investissent le continent africain. Ils rognent l’audience des médias africains. Ce qui fait que dans quelques années, on risque d’avoir des problèmes.
Il y a un autre problème avec les dirigeants africains qui sont prompts à parler aux médias internationaux plutôt aux médias nationaux…
Ce n’est pas un phénomène nouveau. C’est une forme de snobisme. Si les grandes marques internationales qui sont présentes sur le continent africain commencent à toucher la population ivoirienne, font des publicités non pas dans les médias ivoiriens mais dans les médias internationaux présents en Côte d’Ivoire, en ce moment on va avoir un vrai problème. Je parle de business parce que les médias sont des entreprises. Ce qu’on voit déjà, c’est que des marques africaines mettent leurs publicités dans les journaux internationaux. Cela dessert énormément le continent africain.
Est-ce que dans vos différentes rencontres, vous évoquez la question de la migration des jeunes du continent avec vos partenaires ?
La question de l’immigration est présente dans nos activités par différents aspects. Moi-même, je suis le président du jury du prix de l’Office international de l’immigration. C’est le prix du journalisme de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’ouest. Il y a le représentant du secrétaire général de la Fifa, un représentant de Basketball africa league etc. Ce n’est pas un sujet qui nous est étranger. Nous sommes partenaire de l’Office international de l’immigration. L’une des vocations de la Basketball africa league, c’est d’encourager les jeunes à rester sur le continent africain. Ils n’ont plus besoin d’aller aux Etats-Unis ou en Europe pour faire une grande carrière. L’immense majorité de nos clients sont des entreprises et toutes nos entreprises en Afrique emploient des Africains. Il y a une dizaine d’années, on envoyait des non-Africains pour venir faire leur travail en Afrique. Maintenant on forme les gens et on emploie les locaux. En ce sens, nos clients participent énormément à la lutte contre le chômage.
Aujourd’hui, quel regard jetez-vous sur la presse africaine ?
L’Afrique, ce n’est pas un pays, c’est un continent. Je tourne beaucoup sur le contient et je rencontre beaucoup de propriétaires de médias, des directeurs de médias. La situation est variée, les enjeux sont toujours les mêmes, les difficultés aussi. Seulement les capacités à y faire face sont différentes. Le paysage médiatique africain semble plutôt globalement en danger et engagé dans un combat assez déloyal. Je ne suis pas pessimiste mais je suis inquiet. Sur la question du modèle économique, je dirais qu’il n’y a pas de modèle parfait.
Les perspectives ne sont pas bonnes alors ?
Au regard des ressources, je pense qu’il y a la volonté, il y a le volume des activités, la capacité d’innover mais il est temps de se retrousser les manches et de trouver les solutions. L’un des principaux problèmes dont on discute lors de mes conférences, c’est comment les Africains dédaignent les médias africains pour se tourner vers les médias internationaux ? Il est temps qu’on se pose la question. Il semblerait que - peut-être - cela est lié au contenu qui est proposé. Comment les médias africains peuvent faire leur révolution sur leur contenu ? Il va falloir faire une vraie rétrospection, un vrai audit pour voir ce qui se passe.
N’est-ce pas parce que les politiciens contrôlent les médias aujourd’hui ?
La propriété des médias est un véritable problème. Dans mes conférences, les étudiants me disent : « chez nous, les médias sont détenus par le cousin du président, par tel ministre etc. et que c’est difficile ». Allez voir en France ou aux Etats-Unis, les médias dans le monde sont toujours détenus par des intérêts. S’ils ne sont pas financiers, ils sont politiques. C’est comme ça partout. Tout le paysage médiatique français est détenu par 3, 4 ou 5 grandes entreprises. Il ne faut pas s’apitoyer sur son sort.
En dehors de la presse, on vous voit dans le cinéma, le sport, les mines et énergies, l’investissement. Alors comment arrivez-vous à gérer toutes ces charges ?
L’Afrique est un vaste continent. Il y a de très nombreuses choses qui se passent. De nombreux domaines dont l’art contemporain, le sport, tout le monde parle des MMA (ndlr : les arts martiaux mixtes, en anglais Mixed Martial Arts). Les 3 champions du monde des MMA sont africains. On choisit les causes qu’on veut soutenir. Le continent est extrêmement dynamique, il se passe énormément des choses partout et des choses très positives. On considère qu’à travers le sport, nous touchons l’éducation, la santé, nous participons à véhiculer des valeurs qui sont bonnes pour la jeunesse africaine. Aujourd’hui, nous sommes le sponsor officiel de Rugby Afrique, partenaires avec l’Association internationale de la presse sportive, le partenaire africain de l’Olympique de Marseille etc. Nous sommes aussi dans l’éducation avec l’Unesco. Cela nous permet d’offrir à nos clients une grosse valeur qui est le réseau. On peut non seulement organiser des interviews mais aussi des rencontres avec des ministres, des clubs de football comme Al Ahly etc.
Avec toutes ces activités que vous citez, n’auriez-vous pas des ambitions politiques ?
Non ! C’est vraiment quelque chose qui ne m’intéresse pas. J’ai touché à la politique dans une autre vie, il y a 20 ans. Je n’ai aucun appétit pour ça. Je ne peux imaginer aucun scénario qui pourrait m’intéresser. Il y a des choses plus intéressantes à faire qui peuvent avoir beaucoup plus d’impact.
Interview réalisée
Par Alexis Tanoh