France : Coup de poker raté d’Emmanuel Macron
Emmanuel Macron, sûr de sa présidence jupitérienne, a voulu exercer un numéro de roulette russe dans un scénario à la Charles de Gaulle.
Il vient de mordre la poussière, en amplifiant une crise politique historique. Car, ce qu'il pensait pouvoir éviter, avant la fin de l'année, est brutalement survenu dans son coup de poker raté.
En effet, le 9 juin 2024 et sur un coup de tête, il a déclaré la dissolution de l'Assemblée nationale française, après la percée du Rassemblement national (RN) et la cuisante défaite de son parti aux élections européennes. Il mettait fin au mandat des 577 députés élus à l'occasion des législatives de juin 2022.
Les élections anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024 seront encore une bérézina pour le parti présidentiel. Le premier ministre Gabriel Attal et son gouvernement sont contraints, le 16 juillet, à la démission dans ce régime semi-présidentiel.
Mais Macron va user d'un coup de force. Après presque deux mois de tractation, il rejette la proposition de chef du gouvernement du Nouveau front populaire (NFP), arrivé en tête des législatives et porte son choix, le 5 septembre, sur Michel Barnier, membre du parti Les républicains (LR, arrivé en 4è position).
Le déni démocratique va alors faire une victime collatérale: Barnier. Attendu au tournant, il fait les frais de deux motions de censure du NFP et du RN, en réponse à l'article 49.3 de la Constitution qu'il a sollicitée pour faire passer sans vote le projet de budget de la sécurité sociale. Et par 331 voix pour, Barnier et son gouvernement ont été renversés le 4 décembre.
Ce cinquième premier ministre de Macron, avec 91 jours à Matignon, devient le chef du gouvernement le plus éphémère après Bernard Cazeneuve (162 jours), Gabriel Attal (240 jours), Édith Cresson (322 jours), Maurice Couve de Murville (345 jours) et Pierre Bérégovoy (362 jours).
Mieux, Barnier est le deuxième premier ministre de la Vè République à connaître un renversement. Le 5 août 1962, en effet, une motion de censure, votée et adoptée, mettait fin au gouvernement de Georges Pompidou sous la présidence du général Charles de Gaulle.
Mais ayant toutes les cartes en main, parce que les gaullistes ont largement remporté les législatives anticipées, de Gaulle a aussitôt renommé Pompidou, qui restera à Matignon jusqu'en juillet 1968.
Macron ne dispose plus de cette marge de manoeuvre et n'a plus cette possibilité à cause du risque accru d'une autre motion de censure. C'est pourquoi le départ de Barnier représente une gifle au chef de l'État. Qui ne bénéficie d'aucune majorité à l'Assemblée nationale. Sans compter qu'il se retrouve fragilisé et au pied du mur, alors que l'adoption du budget 2025 est normalement fixée au plus tard au 31 décembre 2024.
L'épreuve de force, ainsi engagée, est en train d'ouvrir la porte à une crise de régime. En réalité, Barnier n'a été qu'un fusible qui a sauté. La vraie cible politique de cette guéguerre est Emmanuel Macron.
"Nous demandons à M. Macron de s'en aller," a aussitôt pronostiqué Mathilde Panot, présidente du groupe parlementaire de La France insoumise (LFI, membre du NFP), en faveur d'une présidentielle anticipée, c'est-à-dire avant la fin du quinquennat de Macron en 2027.
La procédure de destitution d'un président de la république est prévue dans la Constitution. Mais si jamais, dans l'histoire politique française, le pouvoir législatif n'a obtenu la tête d'un président de la république, une crise institutionnelle aiguë entre l'Exécutif et le Législatif peut conduire à la démission du chef de l'État, poussé vers la sortie, à l'exemple d'Adolphe Thiers, Millerand, Lebrun ou Charles de Gaulle.
Le pouvoir français, dans le contexte présent, évolue inexorablement vers un pourrissement des relations entre Macron et les députés de l'opposition, qui viennent de réaliser une convergence des contraires avec le soutien du RN à la motion de censure de LFI.
Progressivement, Macron n'apparaît plus comme la clé de voûte d'institutions fortes et l'arbitre suprême du jeu politique. En descendant dans l'arène, il a pris parti dans le jeu parlementaire à l'effet de monter les groupes parlementaires, et donc les partis, les uns contre les autres. Dans ce pari risqué, il a exposé son premier ministre à des motions de censure aux moindres occasions. Pis il n'a pas respecté la séparation des pouvoirs, abîmant la stabilité des institutions.
Et voilà le chef de l'État français sur une corde raide, confronté à une course d'obstacles. Et si après la chute de Barnier, sérieux avertissement, il garde sa ligne radicale pour continuer de se mettre à dos les extrêmes (RN et LFI très remontés), ce qui était inenvisageable peut devenir inévitable.
Une contribution de F. M. Bally