Côte d’Ivoire / Comment 6 personnes ont pompé près de 4 milliards de francs Cfa de la MUPEMENET: Leur identité et mode opératoire
Les dirigeants de la Mutuelle des personnels du ministère de l’Education et de l’Enseignement technique de Côte d’Ivoire (MUPEMENET-CI) ont été suspendus et remplacés par une administration provisoire. Michael Boko et ses camarades sont accusés de graves malversations financières. Pour Koné Colette, directrice générale de l'Agence ivoirienne de régulation de la mutualité sociale (AIRMS), le forfait porte sur environ 4 milliards de francs Cfa. Un audit de la gestion révèle tout sur leur mode opératoire. Ci-dessous, les détails avec la structure de régulation.
Je voudrais, d’entrée de jeu, vous dire merci d’avoir répondu présent à cette conférence de presse qui revêt un intérêt capital pour la mutualité sociale en Côte d’Ivoire.
En effet, dans sa quête d’un bien-être pour tous et particulièrement pour les populations à faible revenu, l’État ivoirien a transposé dans sa législation, le Règlement communautaire n°07/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant réglementation de la mutualité sociale au sein de l’UEMOA.
La mise en application des exigences de l’UEMOA s’est traduite par la création par décret n°2012-588 du 27 juin 2012 d’un Établissement Public National dénommé Agence Ivoirienne de Régulation de la Mutualité Sociale, en abrégé AIRMS.
L’AIRMS est investie d’une mission de service public, à savoir celle d’assainir le secteur de la mutualité sociale en Côte d’Ivoire. Pour ce faire, l’organe administratif jouit de l’autonomie et de l’indépendance nécessaires pour accomplir ses missions, à savoir :
Instruire les dossiers de demande d’agrément des mutuelles sociales afin de permettre aux mutuelles d’obtenir leur agrément pour leur fonctionnement ;
Tenir le Registre National d’Immatriculation des mutuelles sociales agréées : seule l’immatriculation confère la personnalité juridique aux mutuelles sociales et leurs structures faitières, leur accordant ainsi le droit d’exercer ;
Suivre et contrôler les mutuelles sociales agréées : cela consiste à s’assurer que les mutuelles respectent correctement les règles et ratios prudentiels de gestion et préservent les droits des assurés, sous peine de s’exposer à des sanctions.
C’est donc dans le cadre de ses missions que l’AIRMS a réalisé, sur instruction du Ministre de l’Emploi et de la Protection Sociale, un contrôle approfondi de la Mutuelle des Personnels du Ministère de l’Education et de l’Enseignement Technique de Côte d’Ivoire en abrégé, MUPEMENET-CI.
Cette mission s’est déroulée du 1er septembre au 21 octobre 2022 et a porté sur la gestion de la mutuelle pour les exercices 2018 ; 2019 ; 2020, 2021 et particulièrement sur la gouvernance et sur les aspects financiers et comptables de l’entité.
Au terme de ce contrôle, nous avons relevé des irrégularités dans la gestion de la mutuelle et ce, à plusieurs égards :
Au titre de la gouvernance
Nous avons constaté que contrairement au principe du bénévolat en matière de mutualité sociale, des administrateurs et des membres de l’organe de contrôle bénéficient d’indemnités en dehors de toute délibération en assemblée générale. De fait, il a été décidé au cours d’une réunion informelle d’allouer des indemnités à des administrateurs et contrôleurs qui n’occupent aucun emploi effectif, à savoir :
-9 Administrateurs et 5 Contrôleurs : ont perçu des indemnités mensuelles d’un montant cumulé de 18 870 000 FCFA, soit 226 440 000 FCFA par an.
-Administrateurs : des dotations supplémentaires annuelles dites « flottantes » sont octroyées à l’ensemble des membres du Conseil pour un montant 3 000 000 FCFA par Administrateur et une assistance financière exceptionnelle supplémentaire, en cas de besoin. Ces derniers, en effet, se sont attribués des rémunérations en violation des statuts et règlement intérieur et des textes régissant la mutualité sociale.
Par ailleurs, il a été décelé des insuffisances significatives dans le contrôle des prestations aux fins d’une manipulation frauduleuse des dépenses de santé.
A cela s’ajoute l’absence d’implication de la Direction des Systèmes d’Information dans le choix des fournisseurs en ce qui concerne les projets informatiques.
Enfin, il a été remarqué que la quasi-totalité des membres du Comité de contrôle n’ont pas le profil requis par les exigences du poste de contrôleur, contrairement à ce que prescrit la réglementation.
Au titre des procédures comptables et financières
Sur ce point, le constat est ahurissant, car la mutuelle ne dispose d’aucune procédure comptable, administrative et financière. Ce qui facilitait des transactions au mépris des règles de bonne gestion. Il a été par exemple relevé le retrait irrégulier de fortes sommes à la banque, notamment par :
-Monsieur YOUAN Bi (Informaticien) : 326 371 126 FCFA ;
-Monsieur TEHE Edmond (Chauffeur) : 435 342 326 FCFA ;
-Monsieur OUATTARA Jean Louis (Agent Comptable/facturation) : 1 345 418 678 FCFA
-Madame LEGRE Emma (Responsable section Comptabilité) : 323 630 456 FCFA
-Monsieur BOKO Brou Sylvestre (PCA) : 248 607 300 FCFA ;
-Monsieur TOHOU Ernest (Vice-Président) : 76 700 000 FCFA ;
A ces actes de mal gouvernance s’ajoutent des dépenses insuffisamment justifiées d’un montant de 689 842 796 FCFA et de 1 556 519 500 FCFA. Ce dernier montant concerne des opérations comptabilisées sans supports justificatifs probants.
En outre, mes services ont pu déceler le non-respect de certains indicateurs et ratios prudentiels.
De façon spécifique la mission a noté :
-une gestion inefficiente des ressources ;
-une faiblesse de la pérennité de la mutuelle ;
-une viabilité institutionnelle quasi inexistante ;
-une faiblesse de sa viabilité financière.
Au titre des autres contrôles
En ce qui concerne les contrats et marchés passés, l’on note que les fournisseurs et prestataires sont sélectionnés par gré à gré, sans une mise en concurrence préalable des potentiels soumissionnaires, en violation des règles de bonnes pratiques et de gestion.
Au niveau de la gestion des actifs, il est regrettable de souligner que la mutuelle ne dispose pas de titre de propriété sur le bâtiment qui fait office de centre médical sis à Yopoupon. Car, nonobstant les investissements importants réalisés, la propriété du bâtiment est détenue par un particulier avec lequel un contrat de bail est signé pour un montant mensuel de 800 000 FCFA. Tandis que la comptabilité enregistre un loyer mensuel de 2 000 000 FCFA, soit un écart de 1 200 000 FCFA/mois injustifié.
Au niveau des dettes sociales, une dette d’un montant de 274 817 056 FCFA enregistrée dans les comptes du CME, au profit de la MUPEMENET-CI n’est pas clairement retracée dans le patrimoine de la Mutuelle sociale.
Au niveau des biens sociaux, nous avons constaté que le véhicule de marque FORD du PCA ne figure ni dans le parc auto, ni dans le patrimoine de la Mutuelle sociale. D’un coût d’acquisition de 42 000 000 FCFA sur fonds de la mutuelle sociale, ledit véhicule possède une carte grise établie au nom du PCA.
Voici quelques faits, entre autres, que nous portons à l’attention des mutualistes sur les dangers que court leur mutuelle.
Il est indiscutable que les procédures comptables, administratives et financières sont méprisées par les dirigeants de la MUPEMENET-CI.
Ces actes de mal gouvernance qui sont de nature à nuire aux intérêts des membres et de leurs familles se sont aggravés par le non-respect du plan comptable de la mutualité sociale ainsi que la production hors délai des états financiers et des documents comptables.
En définitive, l’équipe de l’AIRMS a relevé les irrégularités suivantes dans la gestion de la MUPEMENET-CI ; il s’agit de :
-l’absence de planification de certains projets ;
-la sélection des prestataires par entente directe ;
-l’absence de dispositif de contrôle interne ;
-l’absence de manuel de procédures avant 2022 ;
-la tenue d’une comptabilité de trésorerie en lieu et place d’une comptabilité d’engagement ;
-le recrutement des agents par tutorat et mentorat ;
-l’absence d’approbation ou l’approbation tardive des budgets annuels ;
-le non-respect de certains indicateurs et ratios prudentiels ;
-l’existence d’un climat social délétère.
Chers journalistes, le préjudice causé par les dirigeants de la MUPEMENET-CI à leurs adhérents est passible de sanctions prévues par les articles 81 et suivants du règlement n°07/2009/ CM/UEMOA du 26 juin 2009 et l’article 36 du règlement d’exécution n°004/2022/COM/UEMOA du 1er juin 2022.
Ces manquements sont d’autant plus préjudiciables et intolérables que nous avons pris des décisions dans le but de sauvegarder les intérêts des membres et de leurs ayants droit. Il s’agit de :
-l’imposition d’un plan de redressement de la mutuelle ;
-la mise sous surveillance de la mutuelle pour une période de 14 mois à compter du jeudi 02 mars 2023 ;
-et la désignation d’un Directeur Exécutif provisoire chargé de la mise en œuvre du plan de redressement pour la période sus-indiquée.
Ces mesures qui étaient d’application immédiate sous peine de sanctions plus sévères n’ont pas été exécutées par les dirigeants de la MUPEMENET-CI.
C’est pourquoi l’AIRMS prend ses responsabilités pour faire appliquer immédiatement ces décisions et faire connaître au monde mutualiste que l’organe de régulation de la mutualité sociale est le contrôleur et le garant de l’application des textes qui régissent ce domaine au risque de s’exposer à des sanctions, qui vont jusqu’au retrait de l’agrément.
A toutes fins utiles, il convient de rappeler que l’AIRMS agit essentiellement dans l’intérêt supérieur des mutualistes en vue de garantir leur santé et leur bien-être social dans le but de contribuer au développement durable de la Côte d’Ivoire.
Je vous remercie.