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Pr Joseph Abo Kobi, maître de conférences en histoire contemporaine et sociale à l’université Alassane Ouattara de Bouaké, dévoile le mode de succession en pays atchan et les origines des conflits incessants dans les chefferies.

 

Alors que chez la plupart des peuples akan, n’accèdent à la fonction de chef ou de roi, que les gens prédestinés pour ces fonctions, en pays atchan, le mode de désignation de l’autorité coutumière est complètement différent. Qu’est-ce qui explique cela ?

Le pouvoir en pays atchan est non convergeant, c’est-à-dire que le pouvoir politique n’est pas héréditaire et ne se transmet donc pas de père en fils ; de frère à frère ou même d’oncle à neveu comme en pays agni. L’organisation politique atchan présente un particularisme. A l’origine, le pouvoir traditionnel en pays atchan était l’affaire exclusive des doyens d’âge. Avec la colonisation, la gestion du village échoit à un chef dont le pouvoir est en réalité aux mains des classes d’âge. Par conséquent, le pays atchan étant une société à classe d’âge, le pouvoir est non seulement générationnel mais aussi collégial.

 

Quels sont les temps forts de la désignation des chefs en pays atchan ?

Le chef de village, dans l’ordre traditionnel, n’est ni le chef guerrier ni son doyen, pas plus que l’homme le plus âgé d’un clan déterminé. Il est le chef reconnu, choisi par sa génération qui réunit les "hommes mûrs" à travers les chefs des classes d’âge. L’approbation de nanan, le patriarche, se résume à la bénédiction du chef désigné. Il n’interfère pas dans le choix du chef. Le doyen du village, jouissant des pouvoirs politique, juridique et religieux, il lui revient d’officier dans toutes les cérémonies religieuses d’intérêt général. La vie politique et administrative du village, organisée autour de la personne du chef, ne signifie pas que le pouvoir politique est l'affaire d'un seul individu en la personne du chef de village.

 

Les fêtes de génération entrent-elles dans ce processus ?

En pays atchan, la fête de génération est le processus de maturation des classes d’âge pour la gestion de la chose commune : le village. Elle est un événement important. Pour les jeunes, c’est l’émancipation. Ils auront, à partir de ce moment, un rôle à jouer et une responsabilité à assumer dans le village. Indépendants, ils ne seront plus humiliés par les ainés ou parents et traités encore de personnes immatures, donc bons à rien. On devra à leur classe d’âge le même respect que celui dont bénéficiaient leurs pères et grands-pères. Leurs opinions seront désormais prises en compte dans la gestion des affaires du village. Initiés ou hommes libres, ils resteront fidèles à la classe d’âge. La cérémonie initiatique marque le passage d’une étape à une autre dans la vie des femmes et des hommes des classes d’âge qui composent une génération. Les fêtes de génération ne sont pas un moment de carnaval et de divertissement, mais sont plutôt une occasion de parade de hauts faits guerriers et d’exhibition de pouvoirs mystiques. La fête de génération sert donc d’alerte du contre-pouvoir à la génération dirigeante.

La dernière fête de génération ou Afatwé dite fête de la maturité est le signe de la préparation de l’exercice de la prise du pouvoir par celle qui frappe à la porte du pouvoir. À partir de cette cérémonie, les individus de cette génération auront le droit de prendre la parole au cours des assemblées et donc de prendre part aux décisions du village.

 

Cette singularité des Atchan en matière de désignation de son chef ne soustrait cependant pas ce peuple à une certaine instabilité sur le ‘’trône’’, comme on le voit ailleurs dans d’autres contrées du pays. Bien souvent, on assiste à des crises autour de la chefferie dans les villages atchan. Comment expliquez-vous cela ?

Ceci est déplorable et dommageable pour le peuple atchan  car à y voir de près les enjeux économiques sont énormes ; chacun voulant avoir le contrôle de la chefferie pour mieux jouir de la gestion foncière. Mais, peut-on au nom des intérêts économiques ou personnels tordre le cou à la tradition ?  Une autre question revient de façon récurrente. Peut-on, au nom d’une certaine tradition, brimer ses administrés ou faire montre d’une gestion très opaque des biens publics observés ces derniers temps dans le pays atchan ? C’est de ça qu’il est question.

 

La pression foncière à Abidjan et les enjeux financiers qui s’y rattachent n’ont-ils pas exacerbé ces tensions autour de la chefferie en pays atchan ces dernières années ?

Des conflits naissent de la mauvaise gestion des biens publics. Ceci constitue la principale pomme de discorde avec pour corollaire la destitution de chefs en pays atchan. En 2008 déjà, lors d’un séminaire organisé par le district d’Abidjan, l’ancien préfet d’Abidjan a demandé aux chefs de villages de se mettre en retrait de la gestion foncière, principale source des conflits, voire de destitutions de chefs de villages. Cette situation devint tellement récurrente qu’en 2014, le chef Simon N’gboba, par ailleurs porte-parole du collectif des chefs tchaman, affirma dans une déclaration face à la presse au district d’Abidjan-Plateau : « c’est avec regret que le peuple tchaman longtemps admiré pour son organisation sociale exemplaire et sa gestion démocratique fait désormais l’objet de railleries des autres communautés ». A ce niveau, il est bon de dire que l’administration territoriale censée donner la légalité au chef choisi par son peuple, ne joue toujours pas pleinement son rôle, contribuant ainsi à cet état de fait.

 

Existe-il des mécanismes coutumiers pour régler ces crises de chefferie ? Sinon, les tribunaux sont-ils outillés pour trancher un litige lié à la chefferie en pays atchan ?

Au plan coutumier, le premier recours est le doyen du village. Il s’ensuit en second lieu, l’intervention du patriarche de la phratrie de chaque Goto. Cependant, depuis le pouvoir des Dougbo, un collectif de chefs essaie de jouer aux conciliateurs. Mais, l’implication du pouvoir politique et administratif constitue malheureusement un frein à une véritable cohésion dans le pays atchan à cause des enjeux économiques. Cette situation rend la justice impuissante pour trancher les litiges. Des cas sont légion dans le monde atchan.

 

N’est-il pas temps de rediscuter le processus de désignation des chefs de villages atchan ?

Des séminaires sont envisagés par le pouvoir Tchagba pour plancher sur les problèmes qui minent notre société atchan. Pour ma part, il faut mettre fin à cette fameuse consultation populaire qui a vu le jour dans les années 2000. Elle n’est plus la solution mais le problème. C’est la porte ouverte aux interventions des opérateurs, des politiques et autres, pour orienter le choix de la génération qui accède au pouvoir. Par ailleurs, vous constaterez que ces crises surviennent généralement tous les 15 ans lors de la transition du pouvoir entre deux générations. Et le peuple atchan a prévu dans son processus d’exercice du pouvoir traditionnel des personnes clés pour la gestion des transitions. A ce sujet, il est question de réduire le rôle de l’administration à la simple remise de l’arrêté préfectoral provisoire d’un an au doyen d’âge de la génération appelée à gouverner dès lors que la génération au pouvoir a terminé son mandat. Il reviendra au doyen d’âge de la génération de présenter le nouveau chef du village choisi par sa génération pour recevoir l’arrêté préfectoral définitif sans consultation populaire.

 

Votre village, Elokaté (Bingerville), échappe-t-il aux crises autour de la chefferie constatées en pays atchan ?

Aucun village atchan n'y échappe. Mais des villages connaissent des crises plus accentuées. A Elokaté, il s’agit d’une crise de transition née de l'inadéquation entre l'ordre ancien (Dougbo) et l'ordre nouveau (Tchagba).

Interview réalisée

Par A. K.